Je vais parler de ma mère.
Et de honte, de province, de campagne, de langue régionale et d'abats.
Ma mère s’appelle Martine et ma mère parle patois.
Vous allez sans doute me répondre comme plein de personnes âgées autour de vous.

Pour ma mère, le poitevin-saintongeais, qui n’est pas un simple patois rural, c’est sa langue maternelle. Comme l’espagnol ou l’arabe pour d’autres. Cette langue régionale fait partie des trois langues régionales de la Nouvelle-Aquitaine avec le basque et l’occitan. La grande différence avec le basque est qu’on ne l’apprend pas à l’école, et qu’aujourd’hui, quasiment plus personne en Nouvelle-Aquitaine ne s’exprime dans cette langue, à part les plus âgé.e.s, mais ils commencent à se faire rares ceux qu’ils l’utilisent au quotidien.
Elle en a toujours eu honte.
Moi, je ne le parle pas, je ne le comprends même pas. J’ai quelques expressions en tête, mais rien qui ne constitue une phrase. Elle mange de la fressure également. Une spécialité poitevine à base de sang et d’abats. Appétissant n’est-ce pas. Elle adore ça.
Elle vient d’une famille paysanne dans laquelle on leur a transmis la honte. Honte d’être pauvre, honte d’être en bas de l’échelle sociale, honte de ne pas parler la belle langue française. Aujourd’hui, rassurez-vous, son français est parfait avec moins de fautes d’orthographes que dans mes phrases. Savez-vous qu’il y a actuellement 7000 langues qui sont parlées à travers le monde, et que beaucoup sont uniquement liées à l’oralité. J’ai vu un spectacle l’année dernière qui parle de la langue maternelle, celle de ma mère en l’occurrence, et de pourquoi certaines meurent sans que l’on ne s’en rende compte. J’ai été très émue. La langue de ma mère va mourir. Elle ne fera partie que du folklore. Peut-être que la fressure va mourir. Elle aussi.




Yannick Jaulin, extrait du spectacle Ma langue maternelle va mourir et j’ai dû mal à vous parler d’amour :
“Dans la langue maternelle, les mots sont comme des flotteurs à la surface de l’océan, et ils sont reliés par un mince fil à nos émotions les plus profondes. Quand on coupe ce fil, les mots partent, flottants, déracinés d’eux-mêmes, errants”
J’ai découvert dans ce spectacle que Roland Barthes (le philosophe) comparait la langue maternelle au langage de la nourriture, celle qui vient du ventre, des profondeurs, des entrailles. Je me souviens d’une discussion entre ma mère et sa cousine. J’étais petite, je les entendais mais je ne comprenais pas. Ce que je saisissais, c’était le puissance de ce qui était en train de s’échanger, elles étaient passées dans leur langue d’émotions, celle avec laquelle elles pouvaient dire des choses qu’elles n’arriveraient pas à décrire en français.
Alors évidemment, ma mère n’a jamais vécu le déracinement, ni l’adaptation forcée, ni l’exil, rien de comparable avec ce que vivent des milliers de personnes qui arrivent en France, dont les langues ne sont pas reconnues, ni souhaitées.
Aujourd’hui, ma mère, elle cuisine des plats ottolenghiens comme tout le monde, parce qu’elle sait que l’on aime bien ces goûts aux accents lointains, aussi parce qu’elle a 75 ans et du cholestérol, et qu’on lui a dit que le régime méditerranéen était meilleur. Alors, elle ne mange plus de fressure, ni de farci poitevin et encore moins ses tartines de beurre salé avec du pâté par-dessus le matin. Elle ne m’a pas transmis ses recettes, je ne m’y suis jamais vraiment intéressée, je les trouve parfois difficiles, peut-être moins dans l’air du temps, et j’avais envie de découvrir d’autres cultures culinaires. Pourtant, aujourd’hui, je me questionne sur mon héritage symbolique, ce que je vais garder de sa culture à elle, de ses racines protestantes et poitevines, de cette langue que l’on écrit pas, mais qui sans doute lui permet de pleurer, de rire et d’aimer avec une intensité qu’on ne pourra jamais vraiment comprendre.
Recette des Deux-Sèvres
Tartines de beurre salé et de mojettes
Je ne suis pas vraiment sûre que cette recette soit deux-sévrienne, je pense qu’elle est plutôt originaire de Vendée, mais comme les deux départements se touchent, il y a eu quelques débordements d’un côté ou de l’autre. Ce qui est certain, c’est que j’en mangeais petite et que j’adorais ça 😉
Ingrédients :
Mojettes ou flagolets en bocaux ou secs (j’ai pris un bocal, c’était plus rapide)
Une feuille de laurier
Une gousse d’ail
Deux tartines de pain de campagne ou de baguette
Beurre demi-sel
Poivre
Mettez vos mojettes déjà cuites dans une casserole, ajoutez une feuille de laurier et la gousse d’ail. Laissez cuire à feu doux quelques minutes. Si vous utilisez des haricots secs, suivez les conseils sur l’emballage pour le trempage et la cuisson.
Faites griller vos tartines. Tartinez-les de beurre demi-sel (généreusement). Ajoutez deux cuillères à soupe de mojettes cuites sur le beurre. Poivrez et dégustez !
C’est très très simple 😏




Ce que j’ai lu, écouté, regardé et aimé ces dernières semaines :
Le nouveau livre de Pauline Limouzin La mojette, dix façons de la préparer aux éditions de l’Épure. Je viens de vous proposer une recette sur le sujet, donc forcément ce livre allait me faire de l’œil ! Il sort fin mars.
L’échange entre Louise Aubery et Ben Mazué dans le podcast Inpower. Je vais être hyper prévisible mais comme de nombreuses femmes entre 30 et 40 ans j’aime beaucoup Ben Mazué 🫠 J’étais ravie de l’entendre dans une interview fleuve dans laquelle il se dévoile un peu plus sur son parcours et son processus créatif.
Un article assez court sur la tyrannie du bien-être écrit par Constance Lavergne, l’autrice de la newsletter Carte Blanche. J’ai démarré la série The White Lotus il y a tout juste une semaine. Je suis accro. J’ai toujours été très critique sur les séjours dans la catégorie “développement personnel”. Selon moi, c’était juste une manière de nous dépolitiser en individualisant tout et de nous pousser à encore plus consommer pour aboutir à la meilleure version de nous-mêmes (mais devenue pauvre). Regardez The White Lotus, vous allez détester les ultra riches (ils sont complétement fous) et partez en vacances sans tenter “d’optimiser” votre corps comme le souligne la journaliste.
Je continue dans le concept “wellness”. J’ai lu un article de Libération de la journaliste Elisa Nguyen Phung sur le succès de la nutricosmétique = bouffer du collagène dans du chocolat 🙃 Elle revient sur le succès des cafés branchés qui proposent des séances de lumière LED tout en buvant une boisson rempli de compléments alimentaires, censés redonner une “peau de bébé”. Je vous laisse lire le post instagram de l’une des fondatrices de ce type de café. Est-ce encore une injonction faite aux femmes pour rester éternellement jeunes et fermes ? Tout à fait.
Un épisode du podcast Finta Comment réinventer l’épicerie de village ? Finta est porté par l’excellente journaliste Lola Cros et se situe en Aveyron. Elle va à la rencontre des hommes et des femmes qui font la richesse de ce territoire. C’est toujours intéressant et les histoires sont touchantes.
L’émission Zoom zoom zen sur laquelle je suis tombée par hasard cette semaine et le sujet était : les territoires ! Ou comment ce mot vient remplacer le terme bien condescendant et très parisien de Province 😑 Le micro-trottoir de l’émission se déroule à Thouars dans les Deux-Sèvres, à environ 50 km de chez mes parents, route que j’ai parcouru très (très) régulièrement à 18 ans car un de mes premiers amoureux habitait là-bas. C’est Salomé Berlioux qui était l’invitée. Elle est la directrice générale de Rura.
J’espère que cette newsletter vous a plu ! Comme à chaque fois, je suis preneuse de vos retours sur insta ou ici 🙂
La prochaine fois, on parlera de reconversion ! Si vous avez vécu une reconversion professionnelle dans l’artisanat ou les métiers de la bouche, je suis preneuse de vos témoignages. J’ai déjà deux interviews de prévu mais plus on est de fous, plus on rit, n’est-ce pas ?
Chloé
Merci d'avoir partagé cette histoire. Je me demande souvent pourquoi on n'en parle pas ou pourquoi on ne fait pas plus d'efforts pour sauver les langues 💔
Oh la la vous venez de réveiller un souvenir : je suis née à Cholet (Maine-et-Loire) et ma mère achetait et servait de temps en temps à table de la fressure. J’aimais bien, je croyais qu’il s’agissait d’une version plus « liquide » de boudin noir. Merci de m’avoir permis de découvrir la vérité. 😂