La cuisine singapourienne
Et si, finalement, la cuisine authentique n’était qu’une construction sociale.
Je suis partie à Singapour un peu par hasard. Ma cousine que je n’avais pas vue depuis au moins 15 ans vivait là-bas avec son mari et ses enfants. J’avais l’opportunité d’y passer 2 semaines avant mon arrivée à Hanoï au Vietnam. Je partais seule pendant 2 mois, j’avais besoin d’un sas de démarrage. Les billets n’étaient vraiment pas très chers et j’étais hébergée. Je n’y serai jamais allée autrement. J’ai commencé mes pérégrinations dans la ville, seule, j’ai visité chaque quartier, je partais à la journée, j’essayais de me repérer sur une carte (ce que je ne suis pas du tout sûre de réussir aujourd’hui) et je découvrais. J’ai adoré cette ville en tant que touriste. Elle m’a complétement emballée, j’ai beaucoup appris sur son histoire, sa culture, les différentes communautés. Je ne m’attendais à rien et parfois c’est mieux.
J’ai été marquée par deux éléments lors de mes pérégrinations urbaines dans la ville : la cuisine et les hawkers. Le premier ayant un lien avec le second puisque ce sont principalement dans les hawkers que l’on mange.
J’ai donc mangé, beaucoup et souvent. J’ai compris que la bouffe était partout, à chaque coin de rue. Chacune de mes étapes dépendait d’un endroit où manger. J’ai également pris un cours de cuisine singapourienne. Le premier d’une longue série. Ma cousine a été surprise, pour elle Singapour n’avait pas de patrimoine gastronomique à proprement dit puisque la ville s’était construite avec plusieurs communautés asiatiques. Il n’y avait donc rien d’authentique.
C’est étonnant cette question de l’authenticité que j’ai l’impression de retrouver à chaque voyage. Elle est particulièrement fréquente lorsque cela concerne l’alimentation.
Dans le sud du Vietnam, là où je dormais, j’ai rencontré un allemand qui voyageait depuis quelques jours avec un ami. Lors du petit-déjeuner, je lui ai expliqué que j’allais prendre un cours de cuisine avec les femmes qui tiennent la pension. Il me disait que lui aussi en avait envie, mais qu’il n’allait pas le faire ici. J’étais surprise, je lui ai demandé pourquoi, il m’a expliqué qu’ici, il n’allait pas apprendre la vraie cuisine vietnamienne, la cuisine authentique. C’était la première fois qu’il venait au Vietnam, il ne connaissait pas le pays, il le découvrait comme la plupart des voyageurs. Je n’ai pas poursuivi la conversation, mais j’avais envie de lui demander, en quoi en tant qu’européen tout juste débarqué au Vietnam, il pouvait définir quelle était la vraie cuisine vietnamienne ? Qui est-il pour faire ça ?
Je suis allée chercher des définitions et des écrits sur le mot authenticité, c’est souvent par là que l’on commence :
“D’après les différents dictionnaires, l’authenticité est la qualité de ce qui est authentique, vrai (Larousse). Pour le Robert, un acte authentique est celui qui est revêtu des formes légales. Par extension, c’est ce qui est attesté, certifié conforme à l’original.”
(Rolande Bonnain-Dulon et Aline Brochot, « De l’authenticité des produits alimentaires », extrait de la revue Ruralia)
Puis, je vous ai demandé directement ce que ça voulait dire pour vous “cuisine authentique”. Vous m’avez répondu que la cuisine authentique était une cuisine qui a du cœur, qui a une histoire, du sens, qui raconte quelque chose pour la personne. Une cuisine qui ressemble à celle ou à celui qui prend plaisir à la faire. Une cuisine sans mix de culture. Une cuisine qui a l’air d’être faite “au pif” mais qui obéit quand même au savoir-faire et à la qualité. Une cuisine qui a une histoire familiale et culturelle. Une cuisine chaleureuse. Une cuisine qui combine des recettes régionales et familiales. Une cuisine qui est à l’opposé de la cuisine tendance ou des “food trends”, donc une cuisine qui a de l’âme et une histoire (avec un petit ou grand H). Une cuisine faite avec les mains et le cœur. Une cuisine sincère et généreuse. Picard (🙃). Une cuisine pas forcément recherchée. Une cuisine avec des produits frais, ayant du goût et faite avec amour. Une cuisine qui ne se prend pas en photo et qui est faite par quelqu’un qui n’a pas pour but de défendre quelque chose, qui ne se donne pas de style, qui ne fait pas de grand geste technique. Un truc un peu désuet, beaucoup du cœur et qui a ce goût de “un jour j’ai mangé - nom du plat - et c’était incroyable”. La cuisine authentique n’est pas dissociable du moment de sa dégustation.
Ce que j’entends dans vos réponses, c’est que la cuisine authentique se rapproche de la cuisine que l’on pourrait appeler “traditionnelle”, en lien avec un savoir-faire particulier, attachée à une région ou un pays.
C’est une réalité. Pourtant, je suis intimement convaincue que l’authenticité en cuisine est impossible.
Et quelque part, c’est tant mieux de savoir que les traditions sont en mouvement, qu’elles s’imprègnent des unes et des autres, qu’il y a des ponts entre des pays à des milliers de kilomètre grâce à un plat. Un plat figé, cela me semble particulièrement triste. Il n’y a qu’à voir le débat permanent sur la carbonara ou plus généralement sur la cuisine italienne. Moi aussi, je préfère la carbonara faite avec du guanciale, et des œufs, que des pâtes aux lardons et à la crème fraiche, mais les carbonara sans pâtes de Mory Sacko dans la saison 11 de Top Chef me faisaient également envie, et on était bien dans une réinterprétation (haut de gamme certes).
La cuisine n’est pas statique. Un autre exemple me vient en tête, celui de la créatrice de contenus Lou Elsener, plus connue sous le pseudo Louloukitchen, qui poste environ 300 recettes par an et qui a plus de 900K abonnés, son inspiration est principalement tournée vers la Méditerranée. Régulièrement, elle reçoit des commentaires vifs voire insultants de personnes lui reprochant de ne pas suivre la recette originelle sur des plats tels que le couscous ou encore le taboulé. Et c’est vrai, elle les adapte en fonction de ses envies, de ses goûts.
L’authenticité peut-elle vraiment exister ?
“L’authenticité n’est-elle d’ailleurs pas illusoire ? Les mobilités et les évolutions culinaires la posent d’emblée comme inatteignable, car comment identifier la « vraie recette » ou la « recette originelle » d’un plat ? Est-ce la plus ancienne, ou plus subjectivement, celle qui restitue les goûts de l’enfance ?”
(Valérie Assan et Sophie Nizard dans “Les livres de cuisine juive : à la recherche d’un monde perdu ?” - Extrait de la revue Archives Juives)
Lorsque j’étais à Londres, une amie m’a dit “tu vas voir au moins à Londres, tu goûtes la véritable cuisine indienne”. Mon palais de française s’en souvient encore. En France, on le sait, certaines gastronomies ont adaptées leurs plats à nos palais. Les piments ont été supprimés. Puis, j’ai goûté d’autres plats indiens réalisés par des gens chez eux, et oui, j’avais l’impression de manger de l’authenticité, d’en apprendre plus sur leur plat, leur histoire, pourquoi la poudre de curry n’existe pas en Inde par exemple. Néanmoins, je crois que ces plats ont évolué au fil du temps, se sont transformés avant d’arriver dans nos assiettes. Pour moi, le meilleur de l’authenticité réside dans l’échange culturel, et dans la volonté de valoriser la culture de l’Autre, sans se l’approprier, ainsi que ses traditions.
Le sushi nous a sans doute paru très authentique il y a quelques années, aujourd’hui il l’est moins.
La revendication d’un plat, d’une culture culinaire, est bien sûr nécessaire, car dans de nombreux cas, la cuisine revêt une dimension symbolique, lorsqu’une tradition nous échappe ou se perd, la cuisine devient un lieu de continuité de cette mémoire, comme on peut l’entendre dans le super podcast de la journaliste Zazie Tavitian A la recherche de Jeanne.
C’est dans ce cours de cuisine que j’ai découvert le pandan, ainsi que la richesse culinaire de la cuisine singapourienne, qui est, comme dans beaucoup d’endroits empreinte de son histoire et des personnes qui composent le pays. Son authenticité à elle.
Il était donné par des femmes en réinsertion professionnelle. J’étais entourée d’américains : des couples en voyage de noces, des familles en vacances, j’étais la seule française du groupe.
La salle était grande, bien agencée, avec plusieurs feux, on avait de la place. On a cuisiné un Nasi Lemak (un riz à la noix de coco), une Telur Dadar (je crois que telur veut dire oeuf en malaisien, c’est un genre d’omelette), des crevettes sambal, puis des Karipap (des petits chaussons frits).
A Singapour, les endroits que j’ai sans doute le plus fréquentés pour manger sont les hawkers. Immenses, ils regorgent de nourriture et de grandes tables pour se restaurer avec plein d’inconnus. Il en existe plus de 110 sur toute l’île (sur la liste de l’UNESCO comme patrimoine immatériel). Je n’avais jamais expérimenté de tels centres de vente ambulants où l’on retrouve toutes les cuisines qui font Singapour, avec des particularités en fonction des centres. On peut y passer la journée.
Je fais deux recettes régulièrement depuis mon retour : la soupe laksa (j’ai cru comprendre que la Malaisie et Singapour étaient en conflit sur l’origine de la soupe Laksa, mais je ne suis pas encore assez initiée pour débattre là-dessus).
Et le hainasese chicken, que je ne ferai pas aujourd’hui car c’est beaucoup trop long 😅
RECETTE
(pour 4 personnes)
Ingrédients :
6 gousses d’ail hachées
3 cm de gingembre frais, pelé et haché
2 càc de piment
2 càc de cumin en poudre
2 bâtons de citronnelle hachés
30g de coriandre fraiche
3 échalotes
2l de bouillon de légumes
40 cl de crème de coco
2 cuisses de poulet
2 càs de nuoc mam
1 càc de sucre
Huile végétale
Citron vert et ciboule pour servir
Préparez la pâte laksa : déposez l’ail, le gingembre, le piment, le paprika, le cumin, la citronnelle, les échalotes et la coriandre dans un blender et versez 15 cl de bouillon. Mixez jusqu’à obtenir une pâte.
Faites chauffer 2 cuillère à soupe d’huile dans une cocotte sur feu doux. Prélevez la pâte laksa dans le blender et déposez-la dans la cocotte. Faites revenir 15/20 min en remuant régulièrement afin que cela n’accroche pas. Ajoutez le reste du bouillon et les morceaux de poulet. Laissez cuire à feu très doux, avec un couvercle pendant 4h. Vérifiez régulièrement que tout se passe bien.
Retirez le poulet au bout de 4h. Ajoutez la crème de coco, la sauce poisson et le sucre, mélangez délicatement. Laissez mijoter à feu doux 20 min.
Découpez le poulet en morceaux. Réservez.
Servez avec des nouilles chinoise préalablement cuites. Mettez une portion de nouilles dans un bol, la soupe laksa à mi-hauteur, quelques morceaux de poulet, la coriandre, la ciboule et un trait de jus de citron.
Bon appétit !
Ce que j’ai lu, regardé, expérimenté, écouté cette semaine :
Si vous avez envie d’en savoir un peu plus sur la cuisine singapourienne et si vous aimez voir la nourriture à l’écran, je vous conseille de regarder le film La Saveur des ramen. Je vais être honnête ce n’est pas un grand film, il est plein de bons sentiments, néanmoins, je pense que c’est un bon reportage sur la bouffe, il est feel good comme on dit. Parfois, c’est agréable.
L’article du Fooding sur l’alimentation en post-partum , un sujet que je vais aborder dans une prochaine newsletter, parce qu’une amie enceinte de son 3ème enfant, nous a demandé à nous, ses amies, de lui offrir des bons petits plats. Le sujet est fondamental car souvent en post-partum, on a tout simplement pas le temps de se faire à manger, le relais est donc primordial !
Un restaurant, une fois n’est pas coutume dans ces recos, je vous parle d’un restaurant que j’ai découvert à Bordeaux en passant devant en voiture… Parfois, on a de bonnes surprises : LUCCA. C’est tout petit, très sympathique et surtout bon ! J’y ai mangé avec ma mère, qui sait ce qu’elle aime et n’hésite pas à être critique (ça marche avec tout, pas seulement les restos 🙃), on a toutes les deux été conquises. J’ai pris un poulet tonkatsu, le riz était délicieux. Ma mère a mangé une brandade de morue, très douce et onctueuse. Et nous avons pris le flan au sésame noir en dessert. Je ne suis pas une grande amatrice de flan, mais là avec son petit sirop de gingembre, j’en salive encore. Le prix 19€ plat + dessert.
Sur le sujet de l’authenticité en cuisine et des restaurants dits “exotiques”, je vous invite très fortement à lire la newsletter Des Pages en cuisine, qui a abordé ce sujet en février 2023. Sa newsletter est très bien documentée et pose la question des préjugés en cuisine.
Tellement bien écrit, quel plaisir de te lire ! Picard en cuisine authentique, je valide haha ! Pour de vrai, si des touristes me demandaient un exemple de ce que mangent les français au quotidien, bah oui, Picard… et merci de m’avoir cité, c’est super sympa :) hâte de la prochaine missive !!!