Inès a 28 ans et elle est cuisinière. Ça n’a pas toujours été le cas, puisqu’elle a commencé sa vie professionnelle dans la culture. Elle a décidé de se reconvertir il y a deux ans suite à une expérience professionnelle “qui s’est mal terminée” et qui l’a dégoutée du travail qu’elle faisait “dans lequel elle ne trouvait plus de sens”.
L'association dans laquelle je travaillais (comme beaucoup) n'avait pas assez de personnel ni de budget et multipliait donc les projets européens pour "compenser" les subventions françaises. J'ai donc terminé mon CDD au bord du burn out.
Inès.
Quand on tape #reconversionprofessionnelle dans la barre de recherche instagram, on découvre qu’il y a 334 000 post ou vidéos dessus 🙃 Autant dire que le sujet intéresse particulièrement, malgré les désillusions de certains.
Ce que m’a raconté Inès fait évidemment écho à mon parcours puisque je travaille dans le secteur culturel et que je vois les nouvelles générations quitter le secteur après un ou deux ans d’expérience à cause des mauvaises conditions de travail, mais aussi des baisses de financement (on a tendance à l’oublier, sans aides publiques, une place de concert couterait beaucoup plus cher).
Aujourd’hui, elle est en apprentissage dans un restaurant bistronomique.
J’avais besoin d’un métier plus concret, plus manuel et qui avait plus de sens pour moi.
Inès.
Lorsque je me posais beaucoup de questions sur mon parcours pro, j’ai lu le livre de Matthew B. Crawford Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur travail. Ce n’est pas le livre le plus facile à lire dans ma bibliothèque, il est même parfois un peu compliqué. Néanmoins, son approche est vraiment intéressante. L’auteur est philosophe et réparateur de motos. Il livre un véritable plaidoyer en faveur du travail manuel et artisanal, souvent dévalorisé dans nos sociétés, qui privilégient les emplois intellectuels et le travail de bureau. Ce que j’ai trouvé passionnant, c’est qu’il souligne, grâce à des exemples concrets, tirés de sa propre expérience les vertus fondamentales du travail manuel : une satisfaction importante, des facultés psychiques et cognitives essentielles pour une compréhension profonde du monde.
J’étais constamment fatigué et, sincèrement, je ne voyais pas très bien pourquoi j’étais payé : quels biens tangibles, quels services utiles mon travail fournissait-il à qui que ce soit ? Ce sentiment d’inutilité était passablement déprimant.
J’ai toujours éprouvé un sentiment de créativité et de compétences beaucoup plus aigu dans l’exercice d’une tâche manuelle que dans bien des emplois officiellement définis comme “travail intellectuel”. Plus étonnant encore, j’ai souvent eu la sensation que le travail manuel était plus captivant d’un point de vue intellectuel.
Extrait de Éloge du carburateur de Matthew B. Crawford.
Rencontre.
Je suis également allée questionner Emmanuelle Dubuis sur sa reconversion professionnelle, que je suis depuis plusieurs années sur instagram. Et il se trouve qu’elle était au lycée avec mon compagnon 😉
Est-ce que tu peux te présenter ?
Je m'appelle Emmanuelle et j'ai 36 ans. J'ai vécu entre la Normandie, les Landes, Toulouse une première fois, puis Paris et Londres avant de venir redéposer mes valises à Toulouse en 2020.
Quel est ton métier aujourd’hui et qu’est-ce que tu faisais avant ?
Je suis cheffe cuisinière chez Minifundi, un atelier de torréfaction de café / coffee shop situé près de la Gare Matabiau à Toulouse.
J'ai été tourière et boulangère pendant 8 ans auparavant ; mais encore avant ça, je travaillais dans le secteur du marketing et de la communication (j'ai fait 5 ans d'études dans ces domaines) en agence de publicité et de relations presse à Paris, avant de faire cette reconversion dans les métiers de bouche en 2016.
J’ai lu ton portrait dans la très chouette newsletter Cul-de-poule, dans laquelle tu évoques ta reconversion qui date maintenant de plusieurs années. Pourquoi as-tu décidé de te reconvertir ?
J'ai été véritablement secouée lors de mon entrée sur le marché du travail par le décalage énorme entre le métier que j'avais choisi et mes valeurs personnelles. Passer des heures derrière un ordinateur à travailler sur des stratégies de communication - pour vendre aux gens quelque chose dont ils n'ont pas besoin -, ça a été très vite un crève cœur pour moi. J'allais au travail sans but ni convictions, mais pour autant, j'y passais énormément de temps. Ça m'a vite menée vers un tunnel de contradictions dont j'ai eu du mal à me sortir.
Puis en écoutant vraiment la petite voix qui était déjà présente depuis quelques années dans ma tête (j'avais fait un mémoire de recherche sur les émissions culinaires lors de mes études, projet qui m'avait animé au point de me dire que c'était moi qui souhaitais finalement passer derrière les fourneaux), je me suis jetée à l'eau en me renseignant sur les parcours de reconversion adulte dans les écoles de boulangerie et pâtisserie et en démarchant des entreprises du secteur de la restauration prêtes à prendre quelqu'un de débutant, mais déterminée.
Est-ce que ça a été un choix difficile ou une évidence ?
Quand j'ai pris la décision de quitter l'agence de communication dans laquelle je m'étais donnée une dernière chance quelques mois auparavant, cela s'est révélé limpide. Je pense que je me souviendrai toute ma vie de ce soir du mois de mars 2016 où j'ai fermé la porte de l'agence, et où j'ai marché dans la rue avec l'impression qu'une lourde chape de plomb s'enlevait de mes épaules. J'allais faire ce qui me plaisait pour la première fois de ma vie, car jusque-là, j'avais plutôt pris des décisions par rapport à ce que je croyais qu'on attendait de moi :)
Tu as écrit dans un post instagram qui date de 2020 “privée de force de 5 mois de boulangerie, cette pause m’aura amenée à reconsidérer la place de mon métier dans ma vie”, la boulangerie est un métier avec une forte pénibilité pour plein de raisons (rythme, horaires, physique…), est-ce qu’à un moment ce métier a pris trop de place ?
Bien sûr. J'ai un tempérament passionné et cela m'a valu de frôler des épisodes de burn out à certains moments. J'ai / j'ai eu une tendance à m'investir énormément avec toujours beaucoup d'intentions dans les productions que je fais, les projets dans lesquels je m'implique. Cela m'a évidemment aidée à dépasser beaucoup de contraintes liées à ce métier au début, mais comme beaucoup, je me suis faite rattraper par la réalité d'un quotidien aux horaires décalées et à une condition physique qui ne s'améliore pas forcément dans le temps avec le manque de sommeil et la pénibilité physique.
Aujourd'hui, j'essaie de tirer au maximum vers un équilibre entre mon côté passionné et la réalité ; et cela s'est traduit par différentes décisions.
Tu as créé un service traiteur Vesta, à côté tu es salariée à temps plein dans un coffee-shop, il me semble, pourquoi as-tu choisi de quitter la boulangerie ?
J'ai choisi de quitter la boulangerie en juillet l'année dernière, car j'ai occupé le poste de responsable traiteur dans la boulangerie où j'étais depuis 3 ans la dernière année et cela m'a énormément plu, d'autant plus que mon ancien patron nous faisait bénéficier de formations assez régulièrement avec des consultants et des MOF. Curieuse d'en apprendre davantage, j'ai regardé pour faire une formation en cuisine à la rentrée tout en montant ce mini projet entrepreneurial à côté. J'ai néanmoins pris conscience après que j'étais plus à l'aise avec l'idée d'un poste salarié en temps plein en cuisine de coffee shop où je pourrais allier mes différentes compétences, donc j'ai réactivé mes recherches après une opération du genou l'hiver dernier. Je garde Vestā pour la partie kiff, car j'aime véritablement le partage avec les gens, mais je n'ai pas pour ambition d'en vivre.
Aujourd’hui, quel est ton regard sur la reconversion pro ? Quels sont les conseils que tu donnerais ?
Je dirais que le chemin n'est absolument pas linéaire et qu'aucun ne se ressemble. Chacun a sa façon de le vivre, d'autant plus que cela peut représenter une énorme somme d'énergie et d'argent à dépenser d'un coup. Personnellement, je ne regrette absolument pas d'avoir fait ma reconversion, car je me sens alignée entre ce que je fais au quotidien 80% de mon temps et qui je suis. Je suis incapable de dissocier cela ; et je pense que c'est le cas pour beaucoup d'artisans qui partagent leur savoir-faire.
Mon conseil serait de s'écouter véritablement et de peser le pour et le contre avant de se lancer dans le processus, de rencontrer des gens qui ont sauté le pas pour voir la diversité de parcours. Il faut aussi s'autoriser le fait de vouloir changer d'avis en cours de route. Nous évoluons tout le temps et il ne faut pas perdre de vue que la personne que nous sommes aujourd'hui n'aura pas forcément les mêmes envies 5 ans plus tard. Sentons-nous libres d'expérimenter afin d'emprunter le chemin qui nous convient le mieux.
Merci beaucoup à Emmanuelle et à Inès d’avoir répondu à toutes mes questions !
Recette.
Boulettes de boeuf au citron.

Ingrédients pour les boulettes (pour 8 personnes) :
1 kg de boeuf haché
150g de chapelure de pain
1 gros oignon haché
une botte de persil ciselé
2 œufs
2 cuillères à café d’épices (type raz-el-hanout)
6 gousses d’ail hachées
2 cuillères à café de curcuma
2 cuillères à café de graines de fenouil
1l de bouillon de boeuf ou de volaille
Le jus de 2 citrons
Sel et poivre
Dans un saladier, mettez la viande hachée avec la chapelure de pain, l’oignon, le persil, les œufs, les épices, du sel et du poivre. Mélangez bien à la main, puis façonnez des boulettes.
Dans une grande casserole avec un couvercle, mettez l’huile à chauffer sur feu vif. Faites revenir les boulettes pendant 5 minutes, puis versez-les dans une assiette.
Ajoutez l’ail, le curcuma et les graines de fenouil dans la casserole et faites-les revenir durant 5 minutes, puis remettez les boulettes. Versez le bouillon et le jus des citrons. Salez et poivrez. Faites mijoter à feu doux pendant 30 minutes minimum.
Servez avec de la semoule !


Ce que j’ai lu, écouté, regardé et aimé ces dernières semaines :
L’épisode de Arte Radio Itinéraire d’un car scolaire, de la journaliste Valentine Chevalier. J’ai ressenti beaucoup d’émotions en écoutant ce reportage sur le car scolaire que prenait la journaliste quand elle était enfant puis adolescente. Elle retourne là où elle a grandi pour savoir ce que sont devenues les personnes avec qui elle prenait ce fameux bus tous les matins. Ils l’appelaient le Car de la ferme. Elle nous embarque avec elle dans le pays des Mauges. J’ai moi aussi été une enfant et une adolescente d’un bus qui faisait le tour des fermes et des minuscules villages ruraux dans les Deux-Sèvres. Je suis montée la première fois dedans au primaire et je l’ai pris tous les matins à 7h jusqu’en terminale !
Je suis une grande fan de Buffy contre les vampires. J’ai regardé l’intégralité des saisons deux fois. C’est peut-être surprenant, mais je trouve cette série vraiment très réussie sur plein de points de vue. Quelle joie d’écouter un épisode du podcast AMIES entièrement dédié à un épisode marquant de la série mené par les journalistes Anaïs Bordages et Marie Telling.
J’ai d’ailleurs découvert la newsletter de Marie Telling qui s’appelle Earworm sur substack. C’est un vrai plaisir de la lire. Elle aborde principalement des sujets de pop culture.
Le documentaire Le jeûne, enquête sur un phénomène d’Arte. Je suis souvent intriguée par les pratiques que je nommerai alternatives autour de la santé et notamment sur l’alimentation. Je reconnais que je regarde ça avec une certaine méfiance (des proches ont eu des mauvaises expériences) tout en étant sincèrement intéressée. Ce documentaire permet d’apporter un peu de nuance à ce que l’on peut voir en permanence sur les réseaux sociaux. Ce que j’en ai retenu : le jeûne, pourquoi pas, il peut participer à une amélioration globale de notre santé, mais il doit être encadré et (surtout) par les bonnes personnes.
Un épisode du podcast Le mot de la faim écouté sur un trajet entre Périgueux et chez moi avec Fousseyni Djikine, le co-fondateur du restaurant BMK Paris-Bamako. Je ne connais pas ce resto à Paris, mais j’aime bien découvrir des itinéraires d’entrepreneurs dans la food. Encore un parcours de reconversion (réussi), semé d’embuches, notamment lors de l’ouverture du restaurant ! C’est rocambolesque.
J’espère que cette newsletter vous a plu ! Comme à chaque fois, je suis preneuse de vos retours sur insta ou ici 🙂
Belle journée.
Chloé